Essaouira, la belle ensorceleuse
Par Marie-Noëlle Hervé
AU FOND D'UNE ÉCHANCRURE DE LA CÔTE MAROCAINE, ESSAOUIRA, L'ANCIENNE MOGADOR, SEMBLE S'ÊTRE ASSOUPIE DANS UN RÊVE SANS FIN FACE À L'OCÉAN. On y flâne le nez au vent, du port toujours animé jusque dans les ruelles de la ville close, serrée dans son enceinte crènelée. À la découverte de ses secrets...
Émergeant de sa ceinture de remparts, Essaouira semble flotter comme un mirage blanc et bleu au-dessus des vagues de l’Atlantique. En foulant les pavés de cette paisible cité océane, repliée sur sa presqu’île granitique et balayée sans relâche par le vent alizé venu du large, on songe un instant à Saint-Malo. Mais, dans les rues, les hommes en djellaba et les femmes, blancs fantômes drapés dans leur haïk, ont tôt fait de dissiper cette illusion. Au XVIe siècle, les Portugais édifièrent au fond de cette baie une forteresse qu’ils baptisèrent Mogador. Il n’en reste aujourd’hui qu’une ruine démantelée, échouée sur le sable, et ce nom lyrique, que la ville conserva jusqu’à l’indépendance du Maroc, en 1956, avant d’être rebaptisée Essaouira, « la bien dessinée ».
Essaouira n’est pas une ville antique. La cité fut fondée en 1764 par le sultan alaouite Sidi Mohamed Ben Abdellah, qui souhaitait voir s’élever la plus belle ville de son règne. Pour son plan, il fit appel à un ingénieur français, émule de Vauban, Nicolas Théodore Cornut. L’urbanisme est donc dans le goût européen, avec des rues au tracé rectiligne, enfermées derrière une double muraille crénelée. Mais il s’est produit un miracle. La population arabe et berbère, portée au secret et à la pudeur, a réussi à donner à cette rigoureuse ordonnance une allure de labyrinthe chargé de mystère.
C’est tôt le matin qu’il faut aller flâner hors les murs, lorsque la flottille colorée des chalutiers rentre au port. Sur le quai, il vente comme à la Pointe du Raz. Insensibles aux bourrasques, les marchands grillent les sardines fraîchement débarquées sur des braseros en plein air, harcelés par d’insolents goélands volant en rase-mottes au-dessus de leurs têtes. Dans le chantier naval voisin, les charpentiers taillent les membrures de bateaux neufs. Cela sent bon le bois frais. Intra-muros, Essaouira affiche un charme provincial, un peu suranné. Sur la place principale Moulay Hassan, les habitués tiennent salon à la terrasse du Café de France en échangeant les derniers potins du jour.
Dans la ville close, symphonie de murs ocres et de maisons blanches aux portes et volets bleus, la circulation est interdite aux véhicules à moteur. Ici, le piéton est roi. Libre de pousser une porte pour entrevoir un patio délicieux noyé sous les bougainvillées. Ou de se promener sans souci dans les cours cernées d’arcades colonisées par les souks. Dans ces arènes bruissantes de vie, de couleurs et de senteurs qui font tourner la tête, se joue un spectacle permanent que seule la sieste vient interrompre. Pendant ces heures de douce léthargie, les rues se vident, les rideaux de fer se baissent sur les odorantes pyramides d’épices, et les échoppes où s’entassent poteries, vanneries, tapis et bijoux en argent. À la tombée du jour, le rempart de la Sqala, qui toise l’océan, s’empourpre dans la lumière du couchant. Alignés comme à la parade, d’antiques canons en bronze pointent entre les créneaux leurs bouches muettes vers le large. C’est sur ce rempart qu’Orson Welles filma les plus belles scènes d’Othello, couronné au Festival de Cannes en 1952. Au pied de la muraille, les marchands sont installés dans d’anciens entrepots de munitions. Ils tiennent boutique jusqu’à une heure avancée, proposant objets et meubles marquetés, façonnés dans la racine de thuya. Privilégiée par les peintres qui, venus de tous les horizons, viennent planter leur chevalet au détour de ses ruelles pittoresques, la médina est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2001. Remarquable ville portuaire fortifiée, Essaouira, la cité des vents, reste la citadelle éternelle et secrète des rêveurs de Mogador.